Chapitre 6

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Michael se réveilla dans un nid douillet, enveloppé par une douce chaleur. Ses yeux s'ouvrirent lentement, et el cligna plusieurs fois, ébloui par la lumière douce qui baignait la pièce. Autour d’el, des draperies fines de coton blanc descendaient du plafond en formant un cocon protecteur. L'air était empli d'un parfum apaisant de lilas et de miel.

Je suis dans ma chambre, réalisa Michael. 

Mais pas n’importe laquelle de ses chambres. Sa chambre d’enfance, celle du gynécée royal de Kokab. Le jeune Fitzarch se redressa, l’esprit cotonneux. Le souvenir des évènements récents remonta à sa conscience. El vacilla, hoqueta, mais tint bon. L’épreuve était terminée. 

Porté par ce soulagement, Michael se leva. Soupirant doucement, el descendit dans le salon des quartiers d’Ophélia. Il s’agissait d’une pièce ronde au plafond en coupole, imitant la forme d’un œuf. Les murs capitonnés enveloppaient chaque bruit d’une douceur feutrée, assurant un repos absolu. Rassuré par cette atmosphère de douceur, Michaël baissa les yeux. Au milieu du salon, six petits élohim étudiaient sur des livres imagés. Lorsqu’els virent Michael, els se précipitèrent sur el et l’emportèrent dans leur cercle pour l’assaillir de questions.

— Alors ? Alors ? 

— Il se passe quoi ?

— T’as été puni ? 

— T’as fait quoi ?

Michael ne répondit pas. Vite, il fallait distraire les petits monstres. 

— Je suis venu vous faire la leçon. Alors, on étudie quoi aujourd’hui ? 

— Le Porteur de Lumière !

— Encore el… soupira Michael. 

— On étudie le moment qu’el a créé les azohim ! expliqua maladroitement un des enfants. 

— Ah…

Michael soupira doucement et entreprit de faire la lecture, espérant aider son esprit à retrouver le présent. El conta comment, pour pouvoir engendrer les élohim, le Porteur de Lumière forgea les premières azohim à partir des restes cristallins d’Adam Kadmon, pour porter sa graine, et la démultiplier. Le processus un peu étrange était raconté tel un conte de fée, plein d’espoir et de romantisme. 

— Et après c’est nous qu’on est nés ! s’exclama un des enfants alors que Michael concluait son récit.

— Et oui ! Les primordieux se sont unis aux azohim pour donner naissance aux élohim, expliqua Michael. Grâce à nous, à notre travail, EL et son corps, l’Adam Kadmon, commencèrent à être reconstruits.

Soudain, une silhouette drapée entra dans le salon, les bras remplis douceurs et de confiseries. Les enfants fondirent sur elle comme des petits affamés, s’agrippant à sa robe pour faire tomber le délicieux trésor.

— Allons…allons…

Calme, d’une voix ferme et maternelle, la nouvelle arrivée ordonna à ses ouailles de se rasseoir bien en ordre, sans quoi aucun bonbon ne serait distribué. Cela fait, elle sortit un saladier de sous la table centrale et y versa les gourmandises qui, une fois mises à disposition, disparurent à une vitesse record. Alors que la marmaille dévorait à tout-va, l’azoha Ophélia s’assit auprès de Michaël, qui l’observa avec amour. Son teint hâlé, olive, était typique des habitants du royaume de Hod. Ses cheveux, cachés sous un voile de soie beige, étaient longs et noirs. Ses yeux gris sous ses grandes paupières étaient incroyablement perçants, si bien que les élohim peu habitués s’en trouvaient toujours troublés. Ophélia avait donné ce regard de tueur à son enfant, qui y avait rajouté un son éclat déterminé.

Voyant Michaël réveillé, Ophélia déploya ses ailes translucides sur el, comme pour le protéger. Mais le jeune Fitzarch se redressa et se jeta dans les bras de sa mère.

— Tu es venue me chercher, dit la jeune vertu, la voix étouffée par des larmes de joie et de fatigue.

— Bien sûr, souffla Ophélia. Bien sûr.

Tout autour, les petits élohim s’agitèrent, réclamant déjà d’autres collations. L’azoha se pencha sur ses ouailles.

— Restez ici et soyez sages, ordonna-t-elle de sa voix de miel. Mes demoiselles viendront vous voir dans quelques minutes. Soyez bons avec elles.

— Oui tante Ophélia, répondirent en chœur les enfants.

La tante-azoha fit un geste aérien et un écran s’alluma sur le mur circulaire du salon, diffusant des dessins animés qui captivèrent immédiatement les petits élohim. Puis Ophélia invita Michaël à la suivre hors du salon. Traversant un couloir feutré, aux murs recouverts de moquette et au sol tout doux, mère et fils arrivèrent dans le salon de la fécondité. C’est dans cet endroit, spacieux, confortable et richement décoré, que la plupart des azohim du Sanctuaire se donnaient rendez-vous après avoir déposé leurs enfants à l’école ou à la crèche, aux bons soins des demoiselles et des tantes. Michaël observa les azohim présentes. Elles étaient toutes plus ou moins enceintes et se prélassaient sous un puits de lumière sacrée, pour mieux faire grandir les petits œufs qu’elles portaient dans leurs ventres. Ce faisant, elles discutaient à voix basse, s’échangeant des nouvelles des Cieux rapportées par leurs époux, mais surtout les potins du moment.

— Avez-vous entendu ? chuchota une azoha aux cheveux d’argent. Raphaël convoite de nouveau une demoiselle. El a déjà seize épouses. Par EL, il faut en laisser pour les autres…

— Les archanges sont insatiables je vous le dis, répondit une de ses camarades. Même le Grand Architecte, que la lumière d’EL le protège, s’est déjà lassé d’Arielle de Netzach. El poursuit une nouvelle maîtresse à Chokmah, chez les chérubins ! Haha ! Franchement…

— Si tu crois qu’el fait ça pour la beauté d’une chokmanienne, tu es bien naïve, renchérit une autre. Tout le monde sait qu’el tente par tous les moyens de reprendre du terrain au Métatron. Parvenir à lui imposer un prince céleste serait une victoire…

— C’est bien vrai, c’est bien vrai… Tiens, en parlant de prince céleste…

Ophélia et Michaël s’avancèrent vers les azohim. Friande des informations qu’elles recelaient, la jeune vertu tendit bien l’oreille.

— Honorée Ophélia, salua l’azoha aux cheveux argent. Nous sommes ravies de voir ton enfant royal. J’espère que sa querelle avec Raphaël sera bientôt de l’histoire ancienne.

— Quelle affreuse journée tu as dû passer, dit une autre, s’adressant à Michaël. Une vertu de ton rang ne devrait pas avoir à subir cela.

Michaël rougit. Évidemment, tout le sanctuaire était au courant…

— Prends une épouse ! conseilla l’azoha aux cheveux argent. Fait des enfants et envoie-les à ta place dans la chorale de Raphaël. Comme ça tu n’auras plus à le supporter !

La gorge de Michaël se serra. Ophélia remercia les azohim pour leur accueil et s’éloigna avec son enfant, éludant ostensiblement le sujet de la dispute. Personne dans le salon n’osa insister, car Ophélia était touchée par la grâce. Il y a vingt cycles, le Grand Architecte en personne, souverain des Cieux, avait posé son regard sur elle et l’avait trouvé si belle et si brillante, qu’el avait décidé de lui faire porter son enfant. Ainsi honorée, Ophélia avait donné naissance à Michaël et obtenu par là même un statut aussi rare que particulier, celui de maîtresse céleste. Ainsi, ni épouse, ni à marier, elle ne pouvait pas non plus, comme les matriarches, devenir ambassadrice, diplomate, ou simplement maîtresse de nid. Après cette union, une seule option s’était présentée à Ophélia : entrer dans le harem du palais d’argent de Tiphéreth. Mais l’azoha avait refusé de suivre cette voie pour pouvoir se consacrer à sa véritable passion : être tante, et apprendre aux demoiselles-azohim à devenir de bonnes mères et servantes d’EL. Souriante, elle claqua dans ses mains.

— Le cours de rituels est décalé à demain matin, annonça el aux mères-azohim. Informez-en vos demoiselles.

Les mères-azohim acquiescèrent poliment et attendirent qu’Ophélia quitte le salon pour reprendre leurs conversations. Mère et fils s’installèrent dans une véranda adjacente, qui depuis les hauteurs du Sanctuaire, donnait une vue splendide sur Kokab, son paysage d’ocre et d’argent. En soupirant, Michaël détourna son regard du décor pour regarder ses pieds, tout penaud.

— Raconte, dit doucement Ophélia, assise dans une chaise en osier.

— Je suis sûr que tu sais déjà…

— Je veux avoir ta version, insista l’azoha. Par EL, el t’a envoyé chez les séraphins. J’ai l’habitude de vos chamailleries mais là, une ligne a été franchie.

Michaël prit une grande inspiration et se résolut à raconter les évènements. El se confia sur ses doutes et son incompréhension : 

— Quelque chose a changé le cours de la bataille pour le pire, entre l’évacuation ratée des gardiens, la frénésie des séraphins et le revirement de Raphaël… J’ai le sentiment que quelque chose cloche vraiment. 

— Souvent, quand les choses dégénèrent ainsi, ce sont une multitude d’erreurs de la part de différentes personnes qui aboutissent à la catastrophe. Tu ne devrais pas te sentir coupable de ce dénouement. 

Michael soupira. Les paroles d’Ophélia étaient empruntes de sagesse, mais elles ne parvenaient pas à calmer le profond chagrin de la jeune vertu. 

— Ce furent des erreurs stupides, incompréhensibles. Si nous avions été plus sérieux, plus impliqués… Ennead et HodArch faisaient la fête dans leurs vaisseaux alors que les gardiens de Sicad périssaient sur leur planète. C’est toujours comme ça !

— Les nobl’ailes comme Raphaël et toi ne peuvent se permettre de risquer leur vie Michael, vos graines génétiques sont trop précieuses. 

— Els auraient pu au moins travailler dans la salle stratégique ! Gérer la bataille ! Pour contenir les séraphins surtout ! C’est moi qui ai dû les pousser à intervenir !

— L’arrivée d’un partzuf déclenche toujours un chaos ingérable Michael, c’est bien connu, même d’une simple azoha comme moi. Je ne vois rien de louche dans ce qu’il s’est passé. 

— Une telle incompétence est criminelle, souffla Michael. Et moi… Je me sens tellement impuissant. Pourtant, je suis un Fitzarch, j’ai une puissance innée ! Et Raphaël est très puissant el aussi. Et malgré ça, el agit comme un lâche. 

— El a pris de grands risques pour te ramener lorsque Nukvah a frappé.

— Je sais, c’est vrai… Peut-être craignait-el davantage la fureur de mon Père que le souffle de Nukvah ?

Ophélia se leva et vint s’agenouiller devant son enfant, prenant ses mains dans les siennes.

— Raphaël ne manque pas de travers, dans ses pensées comme dans ses actes, mais je sais qu’el tient beaucoup à toi et pas juste pour tes gènes de Fitzarch. Tu es l’éloha le plus fort, le plus courageux et le plus déterminé de sa cour. El t’admire, el t’aime, autant que quelqu’un comme lui le peut, je le sais.

Michaël fronça les sourcils et fit une grimace dégoûtée. 

— Si j’avais été libre de son amour, j’aurais pu sauver les gardiens. 

Ophélia secoua la tête, amusée.

— Tu es jeune, si jeune.

— Je sais, on me le rappelle souvent…

— Tu as encore beaucoup, beaucoup de temps devant toi, pour découvrir le rôle qu’EL te réserve, pour trouver ta voie.

— Trouver ma voie ? Mais je l’ai déjà trouvée ma voie, c’est juste qu’un grand dadet me barre le chemin. Et puis je ne suis pas sûr d’avoir tant de temps que ça. Les démons…les démons progressent maman…

— Je sais bien, soupira Ophélia, je sais bien…

— Je suis désolé, dit Michaël. Je ne voulais pas te causer du souci. Tu es habituée n’est-ce pas ? À mes…bêtises.

Ophélia se leva et fit quelques pas dans la véranda, arrangeant le drapé de sa longue robe.

— Lorsqu’on devient mère-azoha, on apprend à gérer ce genre de choses, répondit-elle.

Michaël rougit.

— Merci pour tes conseils. Mais je ne peux pas laisser passer tout ça sans réagir. Il faut que je parle à Raphaël. Si seulement j’avais un moyen d’outrepasser sa fureur pour lui faire comprendre mon point de vue…

— El te fera surement mander bientôt…

Ophélia se rassit alors dans son fauteuil d’osier. Protégeant sa main sous un pan de sa robe, elle sortit d’une poche cachée une petite boule de cristal noire. Michaël sursauta.

— Mère ! Cache ça, vite ! Si quelqu’un te surprend…

— Du calme, sourit Ophélia, regarde, dit-elle, en montrant sa main couverte. Je ne touche pas directement le cristal.

— Mais les azohim ne doivent pas manipuler les cristaux, chuchota Michaël. Il parait que c’est dangereux pour…

— Allons mon fils, je sais ce qui est dangereux pour moi et ce qui ne l’est pas. Calme-toi donc et laisse-moi parler.

Michaël retomba dans sa chaise, s’agrippant aux accoudoirs.

— J’ai retrouvé ce cristal dans le pli de ton aile mon fils, expliqua Ophélia.

Michaël fronça des sourcils, s’approchant de l’étrange objet. Il ne ressemblait pas aux boules de cristal habituelles, dont les élohim se servaient pour accéder au réseau EL depuis n’importe où. Souvent translucides, brillantes et colorées, elles n’avaient pas grand-chose en commun avec ce cristal si noir qu’il semblait absorber la lumière alentour. Après quelques secondes de perplexité, Michaël réalisa :

— Je crois que c’est… c'est la boule de cristal d'un des gardiens de Sicad.

— Ah ? fit Ophélia.

— Oui… Nakirée, le chérubin que j'ai essayé de sauver, c'est lui qui me l'a confié. El appartenait à un de ses amis, un command’aile angélique…

Le regard de Michaël se troubla alors qu'el plongeait dans ses souvenirs. Ophélia lui tendit le cristal et la jeune vertu le prit entre ses mains, le contemplant en silence. Toute la bataille de Sicad lui revint alors à l’esprit, se jouant de nouveau devant el. El voulu repousser ces souvenirs, qui le hantaient encore et encore. Mais el ne le put. Le chaos, la bravoure et la douleur des élohim revinrent. Les chants frénétiques acclamant Nukvah. Les centaines d’yeux de Nakirée, l’ombre dans l’ombre et la blancheur apocalyptique.

☿ — Quelque chose ne va pas, murmura Michaël, la voix raillée d'une colère brûlante, les yeux remplis d’un doute grave.

Ophélia inclina sa tête, plongeant son regard dans celui de son enfant.

☿ — Il s'est passé quelque chose avec un séraphin. Nakirée m’a dit qu’un évêque avait fait quelque chose de mal… ah…

Ophélia se leva soudain, posant sa paume sur le front brûlant de Michaël.

— Allons, vient, tu es encore sous le choc. Tu devrais aller te coucher.

— Non, non, haleta Michaël. Il faut que je prévienne Raphaël, qu’el prévienne Malkouth, qu…

Ophélia souleva son enfant, passant un bras autour d’el pour le mener dans une chambre. Michaël ne résista pas. Glissant le cristal noir dans la poche de sa robe de chambre, el se laissa entraîner par sa mère qui le déposa dans un grand lit-œuf. Allongé, Michaël se mit cependant à trembler comme une feuille. 

— Qu…qu…qu…

— Michaël, souffla Ophélia, son enfant dans les bras. Je vais chercher le médecin ! Je vais le chercher !

— Non…non…, murmura Michaël entre ses dents. C’est qu’une crise de décompensation. Ça va passer.

— Je vais quand même l’appeler !

— Non ! Reste avec moi ! Reste avec moi maman ! Je t’en prie !

Ophélia resta au-dessus de son fils, qui convulsa pendant plusieurs minutes encore. Michaël tissa tant bien que mal des thaumaurgies sur son propre halo et finit par se calmer. Son corps resta douloureux, mais son esprit alerte. 

— Demain il faut que je prévienne Raphaël, demain…

— Il faut que tu dormes, dit Ophélia. Ton esprit est fragilisé.

Michaël soupira. Tisser une thaumaturgie de sommeil n’était pas si facile, même pour el. La présence de Brenna, maître du sommeil et de l’oniromancie, aurait été utile. Sans aide de son grand frère, la jeune vertu fit de son mieux et plongea dans un demi-sommeil, remplit de visions vivides. 

Michael se trouva de nouveau dans l’océan salé, coulant avec les gardiens de Sicad. Nakirée était sous el, mais cette fois, ses regards abritaient la vie. 

Le chérubin lui tendit le petit cristal noir et murmura un nom :

— Burrhus…

Les yeux de Nakirée se fermèrent. Ceux de Michaël s’ouvrirent. 

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