Michaël poussa un cri étouffé lorsque son corps s’écrasa sur le sol du hangar. Raphaël souleva ses ailes, laissant la lumière des néons aveugler son impétueux apprenti. Sonné, ce dernier vit la grande silhouette de son mentor tituber dans les bras des vertus-médecins, puis el ferma les yeux.
Lorsqu’el les rouvrit, el ne vit qu’un univers d’or. Un liquide épais enveloppa son visage, entra dans sa bouche, dans ses poumons, avant d’en ressortir à l’expiration. Plus de douleur, plus de rage, el se sentit parfaitement bien. Longtemps, la respiration du liquide persista. Un courant de va-et-vient se créa dans sa bouche, sa gorge, ses poumons. Ses deux cœurs battirent à l’unisson, dans une harmonie parfaite et rassurante. Jamais Michaël n’avait vécu une telle paix. Même sous les thaumaturgies les plus fortes de Raphaël, ou les sommeils les plus profonds offerts par l’oniromancie de Brenna. El était de nouveau dans l’œuf, au tout début de son existence, peut-être encore dans le ventre de sa mère-azoha. Là, plus rien ne l’atteignait. Les démons n’existaient plus. Avaient-els fini par dévorer la Création toute entière ? Peut-être. Peu importait. Aucune pensée ne vint perturber Michaël, à part une certitude. El était Ein Sof dans l’Ayin : le Sans-limites dans le Vide. El était tout et tout était el. Aucune altérité, aucun mouvement.
Mais soudain…quelque chose apparut dans le vide. Une silhouette. Une jeune vertu à la peau mate et aux longs cheveux noirs, avec une frange mal coupée. Quelque chose transperça le vide. C’était son regard. Gris, dur, il ne brillait rien que par l’intensité de sa froideur. Il semblait monter, se propulser en avant car il voulait exploser. Michaël résista. Mais le regard de la vertu ne fit que grandir pour tout éblouir. El criait, crachait une haine impie. El était impitoyable, prêt à tout, toutes les horreurs, tous les sacrifices. Mais pourquoi ?
— Qui es-tu ? souffla Michaël.
— Je suis EL.
Michaël bascula en arrière, révulsé.
— Mais non ! Tu es moi ! Tu as mon apparence…
“EL” ne laissa pas le temps à Michaël de parler. EL enfonça son regard dans la bouche de la jeune vertu, qu’une douleur atroce acheva presque. El était percé, transpercé. La lumière d’EL plongea dans sa gorge, son estomac, explosant. Mais le corps de Michaël résista.
— Je suis EL et tu es AZ. Nous sommes un et divisé. En toi je forme ma Création.
— NON !
Clac !
Une très forte lumière blanche doucha Michaël. Le jeune prince sursauta, ouvrit grand les yeux et la bouche. Tout lui revint. La bataille de Sicad, les monolithes, le trident et ses flammes, puis le visage déchiré de colère de Raphaël, puis…
— Nukvah ?
Michaël s'agita, ses mouvements ralentis par le liquide doré qui l’entourait. El finit par percuter une paroi devant-el et au bout de plusieurs coups violents, un bruit sourd fit vibrer l’univers. Michaël émergea. El bascula en avant et tomba sur un carrelage froid. Derrière el, la capsule de régénération se vida de l’ichor doré dans lequel el avait baigné.
L’esprit embrouillé, Michaël observa ses bras, ses jambes, ses ailes, tous douloureux mais intacts. El ne portait qu'une frêle tunique médicale. Sur sa peau mate, des fils de lumière se nouaient en des formes gracieuses. Il s’agissait de thaumaturgies de soins, tissées par des vertus-médecins. Michaël hoqueta, avant de vomir des quantités d’ichor. El en avait avalé des litres. À moitié effondré, el trembla et murmura des propos incohérents. Puis au bout de quelques minutes, el se leva et tituba dans la pièce, qui ne contenait rien d’autre que la capsule-œuf. Michaël se concentra très fort pour garder son équilibre. El avança vers la porte de la chambre, passa une tête au-dehors et vit un couloir de marbre jaune, presque vide. Quelques élohim passèrent sans remarquer la frimousse de Michaël. Els avaient deux paires d'ailes chacun et des halos de métal, des vertus donc. Els étaient habillés de longues toges orangées, portant le symbole d'Ennead :
Je suis à l’hôpital ?
Le prince n’avait que rarement fréquenté ce genre d’établissement. Raphaël ne lui avait donné que peu d’opportunités de rencontrer quelconque danger. Une boule de frustration se mit à pulser dans la poitrine de la jeune vertu. El décida d’explorer l’endroit, à la recherche de son mentor. Ses yeux bleus glissèrent de pièce en pièce. El y vit de nombreux lits-œufs, abritant tout autant d’élohim blessés.
— Votre altesse, dit soudain quelqu’un juste derrière Michaël.
Le prince sursauta et se retourna. Une vertu infirmière, l’invectivait :
— Vous ne devriez pas être ici, venez, je vais vous remettre dans votre œuf.
— Non ! souffla vivement Michaël. Je me sens bien, j’ai pas besoin. Faut que j’aille voir Raphaël.
— L’archange-prince vous recevra quand el le désirera.
L’infirmier attrapa fermement le bras de Michaël. La vertu, surprise, ne vit aucune crainte, aucune déférence dans ses yeux bruns. La lueur du halo de bronze de cet infirmier était pourtant faible. El était éloigné de la lumière d’EL. Comment pouvait-el oser ordonner quoi que ce soit à Michaël, enfant du Grand Architecte en personne ? Le jeune prince fit une grimace confuse, avant de lâcher :
☿ — Laissez-moi partir, aller hop !
Les yeux de l’infirmier, sévères, se perdirent soudain dans le vague. Tout son corps se détendit et el lâcha Michaël, qui partit en trottinant, les cœurs battant d’impatience. Tout au bout du couloir, el vit une dizaine de vertu-médecins sortir d’une pièce. Leur lumière était forte, indiquant leur grand pouvoir. Michaël attendit qu’els s’éloignent pour entrer dans la pièce dont els venaient de sortir. Sa silhouette, petite et menue, lui permit d’entrer sans se faire remarquer. Là, dans un très grand œuf de régénération, se trouvait l’archange-prince Raphaël.
— Qu’est-il arrivé, salaud ? murmura Michaël.
El déglutit. L’œuf de son mentor faisait presque dix mètres de hauteur. À l’intérieur, son corps flottait dans un liquide doré, de l’ichor, classique des capsules-œuf. Mais là, le liquide était trouble, si bien qu’on distinguait mal l’archange qui flottait dedans. Michaël fit le tour de l’œuf. Là, elle vit que le dos de son mentor était… plat, vide. Il manquait tout simplement ses ailes, ses trois immenses et inratables paires d’ailes ! L’estomac de Michaël se retourna. Dans son esprit, les cris des élohim coincés dans le monolithe résonnèrent. Une colère froide s’écrasa sur ses mains. El donna un coup violent à l’œuf de Raphaël. L’archange ne réagit pas. Alors el se jeta sur la paroi de l’engin et la tambourina.
— Qu’est-ce que t’as fait ?! Qu’est-ce que t’as fait hein ?!
Alertés par le bruit, des puissances entrèrent dans la pièce et attrapèrent la vertu par les épaules, l’éloignant de l’œuf. Mais Raphaël s’était déjà réveillé. L’archange-prince ouvrit les yeux, révélant un regard remplit de douleur, mais foudroyant de colère. Son immense halo de lumière pulsa et el communiqua à travers le réseau EL, aux oreilles de tous :
[Archange] Raphaël : Qu’est-ce que j’ai fait !? Je t’ai sauvé la vie ! La voix brisée de l’archange était portée par la fureur. [V☿rt☿] M☿cha☿l : J’étais prêt ! J’étais prêt à les sauver ! |
Hors d’el, Michaël échappa à l’emprise des élohim et se jeta sur l’œuf, frappant une nouvelle fois sa paroi. Son esprit entra entièrement dans le réseau pour assaillir celui de Raphaël. Mais l’archange de ne se laissa pas faire :
— EL t’a retiré la raison ?! J’ai sonné la retraite trente-six fois, mais au lieu d’entrer dans la formation adaptée, t'as brisé notre filet et plongé vers la planète ! Si j’étais pas venu te chercher, Nukvah t’aurait réduite en cendres ! — Non ! J’étais prêt ! J’avais préparé mes sorts ! — Silence ! SILENCE ! Avant que je… — T’es qu’un lâche ! Un lâche et un connard ! T’aurais pu les sauver ! On aurait pu tous les sauver ! Mais tu l’as pas fait parce que tu t’en fiches ! Tout ce qui compte à tes yeux c’est les nobl’ailes ! Les âmes des peupl’ailes, de ceux qui servent EL pour de vrai, ça vaut rien ! Rien ! Rien ! |
Les élohim présents ne surent que faire. Leurs thaumaturgies, sorts d’apaisement, ruisselaient sur Michaël sans le toucher. Soudain, Kokabiel, petit-frère de Raphaël, débarqua dans la chambre. Couvert d'ichor doré, el tenait son bras gauche, à moitié arraché.
— Ouin ouin ouin, je suis Michaël, le prince céleste ouin ouiiinn, moqua-t-el en pleurant presque. Je suis meilleur que tout le monde parce que je mets en danger ma chorale pour aller sauver les pecnos. Oooh que mon âme est noble ! EL est fier de moi !
Furieux, Michaël voulu se jeter sur son collègue, mais el trébucha et s’écroula de nouveau.
[Archange] Raphaël : Puisque tu tiens tant à la populace, tu seras traité comme tel, gronda soudain Raphaël. Élohim ! Arrêtez le prince céleste Michaël Fitzarch ! Que le jugement divin s’abatte sur el, car en défiant mes ordres, el a désobéi à EL ! |
Michaël fut cette fois bien attrapé par quatre grandes puissances. Els le ramassèrent sans ménagement et lui passèrent des menottes aux poignets, aux chevilles et aux bases de ses ailes. Le petit prince perdit alors tous ses pouvoirs. Son halo de métal perdit son éclat. Une vertu agrippa sa mâchoire et du bout de ses doigts, tissa sur ses lèvres un sort de sommeil.