Michaël tomba au sol, et s'assied contre le mur incapable de calmer sa respiration.
— On se calme, dit doucement Nana, accroupit à ses côtés. On respire lentement, len-te-meeeent.
Le Fitzarch, malgré les nombreuses thaumaturgies jetées sur el par les vertus médecins, fut incapable de s'apaiser. Sa crise d'angoisse continua, après déjà une heure de chaos.
— El ne veut pas se calmer, comprit Sasha, qui faisait les cents pas dans la chambre du Fitzarch.
— El doit se calmer ! insista Nana. El ne peux pas rester comme ça jusqu'à notre arrivée à Guebourah enfin !
— Seule la reprise de la Sphère l'apaisera, expliqua Sasha.
Michaël regarda son amant, dont le doux regard étaient encore remplis de compassion pour el. Pourtant, Sasha avait de quoi détester Michaël à cette heure-là. En dénonçant ses blessures à Zinebiel, el avait privé à Sasha ce dont el-même avait voulu : participer à la rescousse des navigateurs de la Sphère.
— Je suis frustrée moi aussi, expliqua Sasha en déduisant les pensées de Michaël. Mais j'ai confiance en mes collègues principautés. Je sais qu'els peuvent soutenir les troupes efficacement, même si je ne suis pas là. Tu dois accorder cette même confiance aux command'ailes des vertus qui combattent en ce moment même.
— J'arrive… j'arrive pas…
— On avait remarqué, ironisa Nana.
— Je… je peux pas me contrôler…
— Tu es une vertu Michaël, rappela Sasha. Le self-control est ta spécialité.
Nana éclata soudain de rire. De longues minutes durant, el se laissa el-même tomber au sol, hilare.
— Vous êtes tarés tous les deux, finit par lâcher Sasha, désemparé.
— Tout est de ma faute ! clama soudain Michaël en éclatant en sanglots.
Sasha se précipita auprès du Fitzarch et le prit dans ses bras.
— Mais non, dit el. Mais non mon chéri, mais non…
— La moitié des passagers sont déjà gravement blessés après l'assaut de la Flèche et maintenant… maintenant on envoie l'autre moitié dans l'inconnu. Et je peux pas les aider...
— Ça va aller, ça va aller, répéta tendrement Sasha.
— C'est à cause de moi, continua de sangloter Michaël. C'est à cause de moi que les démons sont venus.
— Mais non enfin, pourquoi tu dis ça ? C'est absurde. Les attaques de démons sur des vaisseaux, y'en a tout le temps. C'est pas parce que t'es à bord qu'ils sont venus.
— Si... Tu... tu sais pas...
— S'il y a quelqu'un à blâmer ici c'est Géhenna, dit soudain Sasha en adressant un regard sévère à Nana, toujours plié de rire au sol.
— Oh quel bordel, croassa Nana en essayant des larmes. C'est pour ça que je fais ce métier, pour le bordel. Même à Tiph on n'a pas ça.
— L'assaut sur la Sphère est en cours, dit Sasha à Michaël. Je vais rester avec toi jusqu'à ce que ça se termine d'accord ? Aller vient, on va aller au boudoir. Y'a rien de bon pour toi ici.
— Au boudoir ? s'amusa Nana. Tu vas encore le foutre dans ton plumard ?
— Non, répondit sèchement Sasha. Je vais l'entourer d'amour et d'apaisement c'est tout. Mon boudoir est aussi fait pour cela.
— Bien sûr, ria Nana.
☿
— Non mais je rêve !
Sasha, accompagné de Michaël et de Nana derrière el, fustigea les sous capit'ailes du Domitia.
— Soit vous coupez ça, soit vous retrouvez dans la Flèche pour suivre l'assaut ! C'est clair ?
Les capit'ailes, malgré le charme irrésistible de Sasha, ne réagirent pas vraiment. Entourés de jus de grenade, des danseurs dénudés sur leurs genoux, les nobl'ailes observaient la Sphère sur un hologramme, installé au beau milieu du nid des plaisirs de Sasha. Les autres élohim présents ne leur prêtait pas attention, ni à eux, ni à l'hologramme. Nombre des visiteurs ici étaient blessés, en convalescence et préféraient profiter des diverses douceurs proposées par les principautés du nid des plaisirs. De toutes façons, rien ne se passait sur l'hologramme. Les troupes du Domitia étaient entrées dans la Sphère, mais leur progression à l'intérieur n'était pas affichée.
— Retournez dans la Flèche ! insista de nouveau Sasha. Les communications radio sont diffusées là-bas. Qu'est ce que vous suivez là ?! Vous voyez rien.
— On s'en fiche de leurs blablas. On attends juste de voir si els ressortent ou non.
— Vous êtes fous ?! s'indigna Sasha. Sortez ! Sortez de mon nid !
— C'est notre nid, principauté. Tu n'es qu'un invité ici, par la grâce de Zinebiel.
La colère de Sasha explosa. El se fritta avec l'un des nobl'ailes dans un combat verbal qui s'éternisa. Michaël, le cœur encore battant, resta silencieux, figé sur un divan, pendant que Nana vidait d'une traite une bouteille de jus de grenade. A force de ne rien faire, Michaël remarqua quelque chose d'étrange. Les sous-capit'ailes ne cessaient de chuchoter entre eux, leurs mines étrangement figées, leurs halos monotones. Dans le réseau EL, les conversations privées entre ces nobl'ailes fusaient. Michaël pouvait voir leur forte lumière, sans pouvoir les décrypter.
Els cachent leurs émotions et leurs échanges. Els mijotent quelque chose…comprit Michaël.
Peu à peu, les nobl'ailes se levèrent, faisant des allers-retours entre le salon principal et les alcôves à l'arrière. Sasha disparu à son tour avec plusieurs de ces nobl'ailes, qui après une heure et demie, étaient presque tous partis.
— L'assaut s'éternise, susurra Nana,
A moitié assommé par le jus de grenade, la vertu de Géhenna ronflait sur le divan, à coté de Michaël.
— Ca va mieux ? demanda l'espion.
— Ma crise d'angoisse s'est calmée, dit Michaël, qui se sentait tout dégonflé.
— C'est bien...
— Je peux aller faire un tour dans les alcôves ? J'ai besoin de prendre l'air dans... dans un faux paysage...
Nana sourit.
— Oui, tant que tu reviens dans un délai raisonnable, accepta la vertu.
— Promis.
— Tu as ma bénédictioooon, marmonna Nana avant de ronfler de nouveau.
Michaël se leva et jeta un regard à son compère. Le jus de grenade l'avait rendu incapable de se lever. La voie était libre. Un sacré coup de chance.
Espion en toc...
Discrètement, Michaël suivit un des capit'ailes vers l'arrière du nid des plaisirs. El vit que ce dernier ne se dirigeait pas vers les alcôves du tout. En vérité, l'éloha s'enfonça dans un étage inférieur, descendant dans un puits caché derrière un rideau pour s'y rendre. Un hangar d'une centaine de mètres carrés, bas de plafond, se cachait là, sous le club. Une série de dix navettes inter-célestes étaient garées là. Michaël resta figé d'étonnement face à ces véhicules haut de gamme, à la pointe de la technologie élohienne. En effet, rares étaient les petits vaisseaux capables de circuler entre les royaumes. En général, un équipage de pilotes et de navigateur conséquent, tel que celui du Domitia, était nécessaire à ces voyages risqués et techniquement très complexes. L'éloha se retourna soudain, adressant un regard entendu à Michaël. Ce dernier sursauta, effrayé à l'idée de se faire prendre en train de fouiner. Mais le nobl'aile s'approcha en souriant.
— Venez votre altesse, dit-el en invitant le jeune Fitzarch à le suivre.
Michaël coopéra, s'efforçant de faire comme si tout cela était parfaitement normal. L'éloha l'emmena à l'intérieur d'une cabine, sur le côté du hangar. Là se trouvaient de grosses machines de cristal, qui donnaient accès aux différents systèmes qui régissaient le lieu. Chaque nobl'aile passait par là pour inscrire télépathiquement quelque chose dans ces machines. Puis juste après, els montaient dans les navettes, y prenant place, attachant même leurs ceintures de sécurité.
Oh... comprit Michaël. D'accord...
— On y va du coup ? demanda simplement Michaël à celui qui l'accompagnait.
— Oui, répondit ce dernier. C'est triste mais le Domitia est condamné. Même si on arrive jusqu'à Guebourah, les capteurs qu'els ont à la frontière détecteront la trace des ténèbres. On sera atomisés par leurs systèmes de défense.
— Ah, soupira Michaël. C'est clair…
— Zinebiel veut couler avec son vaisseau, comme tout bon capit'aile, ironisa l'éloha, qui était (comme son patron) une domination. Mais vous, Fitzarch, vous savez ce que vous valez.
Michaël leva les sourcils, l'air assuré.
— Oui, dit-el. Je ne peux pas sacrifier ma vie pour la gloire ou l'honneur, dit-el. Ma responsabilité est de préserver ma graine, pour la longévité des Cieux.
Le nobl'aile sourit et invita Michaël à renseigner quelque chose dans la machine.
— Allez-y en premier, demanda le Fitzarch. Que je voie comment vous faites exactement. J'ai jamais utilisé ce genre de protocole. D'habitude, on le fait pour moi.
Le nobl'aile ria et fit ce qu'el avait à faire. Puis el sortit pour se diriger vers l'un des vaisseaux. Michaël se pencha à son tour sur le système. La machine était un ordinateur classique, équipé d'un logiciel commun de gestion des flux aériens et de paramétrage centralisé de vaisseaux. Chaque éloha qui voulait embarquer rentrait sa signature lumineuse, sa destination et sélectionnait une place dans un des vaisseaux. Les systèmes de ces derniers se paramétraient alors automatiquement pour "naviguer" correctement dans l'espace inter-céleste, sans avoir nécessairement besoin d'un chérubin-navigateur. Cette technologie était rare, mais bien connue de Michaël. En tant que nobl'aile, el avait fait partie de l'élite élohienne à qui ces vaisseaux, souvent utilisés comme capsule d'évacuation, étaient réservés.
Michaël renseigna ses informations puis releva le regard pour observer les alentours. El vit alors Sasha, recroquevillé dans un coin. El alla immédiatement le rejoindre. C'était au tour de la principauté de faire une crise d'angoisse, noyée de sanglots.
— Tu veux partir ? lui demanda Michaël en chuchotant.
Sasha secoua brusquement la tête pour dire non, sa mine crispée par le dégoût. El observa alors Michaël et plongea sans regard dans celui du Fitzarch. Son visage se décomposa. Le regard de Michaël était comme effacé, bien que quelque chose, el ne sut comment se le décrire, brillait dans ses iris gris et perçants. La principauté fut transie de peur, tremblant soudainement.
— Lève-toi et remonte, ordonna Michaël d'une voix parfaitement sereine.
Sasha s'exécuta. Michaël retourna dans la cabine de contrôle. El ferma sa porte et prit la parole télépathiquement, dans le réseau EL.
— Certains d'entre vous ont renseigné les mauvaises destinations, appela-t-el en souriant. C'est une destination par vaisseau les amis. Je sais que vous voulez voyager entre potes mais si vous avez pas la même destination, ça va être compliqué.
Les nobl'ailes rirent à leur tour, bien que certains râlèrent. Els durent tous détacher leurs ceintures, descendre des vaisseaux pour se rendre dans la cabine. Mais dès qu'els posèrent un pied dehors, Michaël appuya sur un gros bouton rouge, placé au beau milieu d'un tableau de bord. Les portes du hangar s'ouvrirent brusquement. En une milliseconde, les dizaines de nobl'ailes présents furent aspirés par le cosmos. Puis, toujours souriant, Michaël referma les portes, sortit de sa cabine et remonta dans le nid des plaisirs.