Le cœur de Michaël battait à tout rompre, si fort qu’el le sentit sur le point d’exploser. Le démon fondit sur el, tout crocs dehors, ses mandibules suintantes de ténèbres prêtes à arracher sa chair, ses membres, sa tête. La terreur qui montait dans le noir atteignit alors son zénith. Elle baigna la nuit d’une lumière rouge. La mort approcha, engloutissant la Création sous un voile bleu sombre, qui défia le règne du Sang d’Adam. Enfin, le cœur de Michaël éclata. Son corps se transforma. La chair impure du démon céda sous ses dents, ses os croustillèrent. Ses centaines d’yeux rouges éclatèrent dans la gueule de Michaël.
— GUERRIER, GUERRIER, GUERRIER !
— AAH !
Michaël se redressa. La bouche ouverte. El cracha, puis avala un grand bol d’air. Après un instant de terreur et de dégoût, el plaqua ses mains contre la surface de son lit-œuf, qui s’ouvrit. El en sortit brusquement et s’étala sur la moquette. Encore à bout de souffle, el s’allongea, reprit doucement ses esprits. Encore un cauchemar, toujours un cauchemar. Depuis la reconquête de la flèche, les souvenirs sanglants de Michaël ne le laissaient pas tranquille. Le jeune prince se prit la tête entre les mains, posa son front sur le sol.
— Stabilise-toi, observe les choses autour de toi, dit Nana à travers le réseau EL.
Michaël déglutit. El leva les yeux et retrouva sa chambre de nobl’aile, une des plus belles du Domitia. Baigné d’une lumière chaude, l’endroit rappelait le plus pur style hodien. Les murs et le sol étaient tapissés d’un sable si fin et doux qu’il semblait être de la soie. Le plafond était une mosaïque d’or et de diamants. Le lit était si grand qu’il pourrait accueillir un régiment de puissances. La vertu laissa derrière el le lit-œuf médicalisé pour aller s’allonger sur ses immenses draps mauves. Dans le miroir qui se dressait en face, Michaël pu s’observer.
Le jeune prince avait mauvaise mine et c'était peu dire. Ses traits étaient émaciés, ses yeux fiévreux et son teint habituellement halé était maintenant gris-vert. Ses longs cheveux noirs, qui avaient été démêlés la veille par Sasha, étaient sagement réunis en une tresse serrée qui descendait le long de son dos. El ne portait qu’un peignoir molletonné et une culotte de satin. Sa poitrine quant elle, était engoncée dans un plastron. Sous la surface de métal souple un seul cœur battait… dans une cavité béante.
Michaël posa sa main contre le plastron pour sentir les battements de son cœur solitaire. Les élohim avaient deux cœurs. Les primordieux, lors de la Grande Conception, avaient dupliqué presque tous les organes de leurs descendants, au cas où. Els avaient eut bien raison. Cela avait sauvé la vie de Michaël. Quand le démon… le "démon" dans la Flèche, l'avait transpercé de son dard, el n'avait détruit qu'un seul cœur.
Michaël grimaça. Des douleurs brûlantes se réveillèrent partout dans son corps. Dans son épaule droite d’abord, qui avait été mordue par un démon, rien de moins. Sous les cataplasmes et les thaumaturgies de purification, la plaie continuait de pulser. Elle était si froide qu’elle brûlait.
Michaël trembla à l’idée que des ténèbres aient pénétré son sang, sa chair. Voyant ses pensées s’assombrir, le jeune prince cacha son épaule et observa le reste de son corps. Il était couvert de stries dorées qui zébraient sa peau mate. Ces marques dataient d’avant son embarquement sur ce vaisseau maudit, avait affirmé Nana. Pourtant, Michaël ne les avait remarquées qu’il y a quelques jours seulement, après l'affrontement.
— C’est la trace de c’que le méchant séraphin t’a fait petit prince, avait expliqué Nana. Le feu sacré a martyrisé ton corps.
Michaël, prit d’une lourde fatigue, se laissa tomber sur le lit. Son répit ne dura pas. Nana débarqua, les bras chargés de sacs en carton.
— Hello, hello, hello petit héros ! chanta-t-el.
D’un sourire béat, la vertu souffla en déposant ses emplettes.. Michaël soupira, sentant sa force vitale fuir son corps. Si el n'était pas déjà allongée sur son grand lit, el se serait laissé tomber dessus avec encore plus de désespoir. Nana s’approcha de Michaël et parla plus doucement.
— Encore des cauchemars mmh ?
— Mmmh, grogna Michaël toujours allongé, en se cachant les yeux.
— Aww... Nous allons trouver une thaumaturgie contre ça le plus vite possible c’est promis. On a huit cent mille vertus à bord, on pourra bien en trouver une qui sait faire ça mmh ?
Michaël jeta un regard méfiant à Nana. Ce dernier était couvert d'hématomes de la tête aux pieds, ainsi que de blessures et même de morsures démoniaques. Ses deux chevilles étaient cassées, son bras droit aussi, et une de ses vertèbres était fêlée, figeant son cou. Heureusement, ses ailes étaient intactes. El parvenait donc à utiliser des thaumaturgies de lévitation sans effort pour se déplacer.
Par EL... El s'est bien abîmé ce con...
Au vu de son état, Michaël aurait pensé que Nana aurait été… frustré, en colère face au Fitzarch qui l'avait poussé à l'assaut. Pourtant, depuis la reprise de la Flèche, la vertu de Géhenna avait adopté une tout autre attitude. Malgré les frustrations qu'el avait exprimées avant et pendant l'assaut, el affichait maintenant une joie parfaite. Dès que Michaël avait repris conscience, el l'avait commencé à le chouchouter, le couvrant d'attentions et de gentillesses malgré son propre état. El lui parlait comme à un petit oiseau blessé qu'el s'était décidé à sauver. Michaël avait pensé que côtoyer un Nana plus coopératif serait un poids de moins sur ses épaules, mais rapidement, ce Nana-là, excessivement aux petits soins, lui était devenu insupportable.
Qu'est-ce que tu caches, espion ?
Nana flotta comme un ballon d'hélium pour se diriger sur le côté du lit, là où le lit-œuf médicalisé était installé. Juste à côté, sur un guéridon, était posé un gros bocal remplit d’un liquide doré. Nana l’ouvrit. El sortit une fiole de sa poche et y versa quelques gouttes d’un liquide rouge, le sang d’Adam. Puis el referma le bocal, l’agita doucement. Le contenu opaque devint transparent, révélant à l’intérieur un cœur élohien.
— Oh il est presque prêt, s’extasia Nana en étudiant l’organe du regard. On va pouvoir te l’implanter bientôt !
— Mmh…
— Aller un peu d’enthousiasme ! encouragea la vertu en trépignant.
— Tu as encore foutu ton fichu sang d’Adam dedans ? grogna Michaël.
— Oui, mais c’est pour ton bien ! sourit Nana. Ça le fait pousser plus vite et ça le rendra bien plus résistant.
— Pffff, à quoi bon si je me fait de nouveau embrocher la poitrine ?
Nana revint au chevet de Michaël et le fustigea :
— Tu dois changer ton état d’esprit petit prince, dit-el en prenant un ton soudainement sec, agressif. Sinon tu ne tiendras pas longtemps. Surtout à Guebourah.
Michaël resta figé de surprise.
— T’en fais pas on va prendre soin de ton corps et de ton esprit, reprit Nana en reprenant soudainement une expression joyeuse. Tu dois être fort, jeune guerrier !
À ces mots, l’estomac de Michaël se retourna. El se redressa, passa la tête hors du lit et vomit trois litres d’ichor sur le sable.
— AH ! cria Nana. Oh non non non !
C’est là que trois autres vertus débarquèrent tout sourire. Els arboraient des halos de bronze et portaient de longues robes oranges, rehaussées de vestes blanches. Sur leurs poitrines étaient fièrement affichés les symboles de leurs chorales, qui ressemblaient à des caducées. Et pour cause, ces trois vertus étaient des médecins, les meilleurs que Zinebiel avait pu trouver à bord du Domitia.
— Votre Altesse, salua l'un d'eux. Avez-vous bien dormi ? Oh…
— El a vomi, constata le deuxième.
Michaël secoua la tête en se redressant.
— Ne vous en faites pas, ça arrive ce genre de choses, rassura le troisième. Votre corps a bien souffert.
— Dans quelques jours tu seras rétabli, ajouta Nana, qui ressemblait el même à un rescapé de crash d'avion.
Du bout de leurs serres, les vertus-médecins tissèrent des thaumaturgies de soin et de nettoyage. Els auscultèrent Michaël, traitèrent ses blessures et re-scellèrent son plastron.
— Merci, souffla Michaël après chaque soin.
Les vertus commentèrent aussi le cœur dans le bocal.
— Plus que quelques jours avant la réimplantation. Vous serez en pleine forme pour notre arrivée à Guebourah.
Une fois remis sur pied, Michaël congédia les vertus-médecins, ainsi que Nana. Mais se débarrasser de lui n’était pas facile.
— Attends-moi derrière la porte.
— Mais tu ne veux pas d’aide pour te préparer ?!
— Non, c’est plus la peine. Aller ouste, donne-moi un peu d’air.
Michaël entra dans le dressing royal inclus dans sa suite de nobl’aile. Il était rempli de caftans de toutes les couleurs, indiquant que son ancien propriétaire était une domination de Hod. Michaël avait souvent vu ce genre d'éloha à la cour. Ces derniers adoraient ce genre de vêtements amples et confortables, qui pouvaient être simples ou richement décorés, mais toujours élégants. Cependant, ils n’étaient pas du goût de Michaël, qui préférait de loin ses uniformes de vertu. Nana lui en avait trouvé, heureusement. El enfila l’un d’eux, composé d’un pantalon et d’une chemise amples et clairs, bardés de poches. El enfila des chaussures aux semelles épaisses et rebondissantes. Ainsi apprêté, Michaël se sentit suffisamment en forme pour bondir et s’envoler. Mais son esprit resta assombri. Un poids lourd pressait sur ses épaules. Son cœur solitaire se serrait. Je me sens si… triste, se dit-el. Ne devrait-el pas se sentir libre, victorieux malgré ses blessures ? La vertu secoua la tête pour chasser ses sombres pensées.
☿
Michaël vola jusqu'au sommet de la tour où el résidait et déboula dans un petit aérogare. Lors de l'atterrissage, Nana, qui volait juste derrière el, le percuta. Les deux élohim tombèrent au sol.
— Par EL ! s'emporta Michaël. Tu peux pas me lâcher deux minutes ?!
— Non ! protesta Nana. Je dois participer à la réunion ! Et te suivre partout de toutes les manières !
— Je ne veux pas que tu viennes ! asséna Michaël sur l'espion de Géhenna. Fous-moi la paix et va prendre une thaum Xanax ! C'est un ordre !
— Je suis pas sous tes ordres, Fitzarch ! ria Nana, toujours de bien trop bonne humeur.
Michaël partit en courant vers une navette en forme d'œuf. El sauta à l'intérieur et déclama :
— Je t'interdis de monter dans ce véhicule, Nana !
La vertu de Géhenna s'immobilisa. El tenta de toutes ses forces d'entrer dans la navette, mais un champs de force invisible l'en empêcha. Michaël sourit. Sasha avait réussit. Nana ne pouvait pas entrer dans un lieu si on ne l'y invitait pas.
— C'est quoi cette sorcellerie ? s'inquiéta Nana.
— Je sais pas, demande à Sasha, sourit Michaël.
— Qu'a-t-el fait ? El a jeté une thaum sur moi hier soir ?
— Yep !
— J'en était sûr ! Attends, est-ce que tu me chasses pour pouvoir passer du temps seul à seul avec ce travailleur du sexe ?
— Tout à fait !
Nana, toujours en lévitant, recula.
— Bah fallait le dire, dit-el, l'air défait.
Puis el s'éloigna vers un autre véhicule. Dans son coin, toujours à moitié paralysé, Nana observa encore Michaël. Le Fitzarch grimpa dans sa navette autonome en forme d'œuf et s'installa dans un des larges fauteuils. Ces derniers étaient très confortables et même rehaussés de supports pour les ailes. Le jeune Fitzarch se laissa glisser dans leur douceur. Mais soudain, quelqu'un d'autre débarqua.
— Sasha…
— Hello !
La principauté, rayonnante, grimpa à son tour et s'installa aux cotés de Michaël. Le Fitzarch l'observa, le regard transi d'adoration face à sa beauté. Sasha portait une robe verte, brodée d'or. Ses longs cheveux auburn cascadaient sur ses épaules graciles. Ses yeux verts pétillaient et son petit sourire illuminait l'univers. Ainsi, Michaël ne put s'empêcher de garder son regard rivé sur la principauté, des minutes durant.
— Alors, tu récupères ?
Michaël acquiesça, l'air béat. Sasha se pencha sur el et la jeune vertu sentit son parfum floral, envoutant et tendit ses lèvres pour recevoir un baiser. Cependant, Sasha el, n'était intéressé que par le plastron qui barrait la poitrine du Fitzarch.
— Il y a vraiment un trou béant derrière cette chose ?
— Euh, oui, balbutia Michaël, à peine tiré de sa subjugation. Tu m'as déjà posé la question hier et la réponse reste la même.
Sasha observa alors le visage de Michaël, ses yeux si expressifs brillants de malice. Puis el se redressa soudainement pour se réinstaller dans son propre siège.
— On décolle ? demanda la principauté.
— On décolle, confirma Michaël.
La grande porte de l'aérogare s'ouvrit et le vaisseau-œuf décolla et monta dans les airs. Michaël eut du mal à reporter son regard ailleurs que sur Sasha, mais quand el y parvint, el put contempler l'étendue du vaisseau-monde sous el. La cité du Domitia semblait intacte. Des millions de halos allaient et venaient entre les tours et les bâtiments, sur les parcs et les lacs. Les six piliers du vaisseau lévitaient calmement. Au loin, la Flèche faisait de même.
— C'est comme s'il ne s'était rien passé, commenta Sasha. Les ophanim ont tout réparé en un rien de temps.
Michaël fit un demi-sourire, se demandant si Sasha venait de faire un jeu de mots. Le Fitzarch leva alors les yeux pour observer les hauteurs du Domitia. La sphère des navigateurs, qui trônait dans le ciel artificiel, n'était pas intacte, elle. Des milliers de vaisseaux y étaient amarrés et d'innombrables élohim tournaient autour, comme un essaim d'abeille protégeant leur ruche. Sasha soupira.
— Il nous reste cela à... libérer. Els n'ont toujours pas réussit à entrer…
Michaël ne dit rien, l'estomac noué.
— Ça va Michaël ? demanda soudain Sasha, les yeux braqués sur le Fitzarch.
— Oui, souffla la vertu.
— J'ai l'impression que tu as un petit coup de mou, dit doucement Sasha en s'approchant. Enfin, vu ton état, c'est normal.
— Mmh, mmh...
— Mais tu étais plus… pétillant hier soir, malgré ça. Tu as beaucoup de hauts et de bas j'ai l'impression. Un moment tu es déchainé, puis tu es tout calme et réservé.
— Névrotique, murmura Michaël. Je suis un peu névrotique… Enfin… C'est Nana qui est névrotique aussi. El est en phase manique et moi en phase dépressive. Parfois c'est le contraire. Mais du coup on se supporte plus et ça me pompe l'air.
Sasha resta un instant silencieux face à cette explication.
— Qu'est-ce qui te tracasse vraiment ? finit par demander la principauté. La sphère des navigateurs non ? C'est ce qu'il y a de plus tracassant ici. Ne t'en fais pas pour ça, on va les libérer, nos chers chérubins-navigateurs. Ceux qui sont là-dedans sont des costauds, els sont encore en vie, je le sens.
— Tu as raison. Je pense qu'on y arrivera, dit Michaël.
Sasha resta silencieux quelques minutes, observant le Fitzarch sans que ce dernier ne s'en embarrasse. Être admiré par un être aussi beau que Sasha était exquis.
— Je suis étonné que tu m'apprécie, dit soudain Michaël à la principauté.
Sasha leva les sourcils, amusé.
— Je t'aime bien, c'est vrai, minauda-t-el.
— Pourquoi ?
— Tu veux que je liste tes qualités ?
— Non… Mais c'est parce que je suis un Fitzarch n'est-ce pas ?
Sasha gloussa. Mais el n'émit pas un rire puéril. Son amusement était doux et plaisant, comme une musique relaxante.
— J'apprécie ta personnalité, pas ton statut, affirma Sasha. Enfin, je comprends ta question. Dans ma jeunesse, je ne pensais qu'à plaire aux nobl'ailes pour obtenir leur mécénat. Mais… j'ai grandi. Maintenant je ne fréquente que des gens que j'aime réellement. Et sur la scène, je vis pour mon public et non plus pour leurs rois.
— Quelles sont mes qualités alors ? demanda Michaël.
— Ton courage, répondit Sasha du tac au tac.
— Ah…
— Ah ?
Michaël baissa les yeux, soupira.
— Raphaël m'a toujours accusé d'être trop tête brulé. El m'a même dit que j'étais… suicidaire, parfois, à cause des risques que je prends.
Ce fut au tour de Sasha de soupirer.
— C'est vrai que dans le feu de l'action, tu ne sembles avoir peur de rien, dit la principauté. Mais c'est une qualité, je trouve. Les plus grands héros de notre histoire avaient ce courage eux aussi.
Michaël se mordit la lèvre, l'air morose. Sasha posa alors sa tête sur l'épaule du Fitzarch.
— Ce soir tu viendras à mon boudoir, décida la principauté.
— Ah… D'accord, souffla Michaël, un sourire animant enfin sa mauvaise mine.
Quelques minutes plus tard, la navette autonome arriva à sa destination : la Flèche. Sasha et Michaël débarquèrent. La principauté décida de "principauter" et attrapa Michaël par le bras pour l'entrainer vers un vestiaire, joint au hangar de la station de commandement.
— Faut qu'on ailles à la réunion, chuchota Michaël.
Sasha s'enferma dans une cabine, laissant le Fitzarch dehors.
— Tu fais quoi ? demanda Michaël.
— Rien. Reste là et assure-toi qu'aucun de mes artistes ne vienne ici.
— Ah ? Pourquoi ?
Sasha s'afféra dans la cabine de longues minutes durant. Impatient, Michaël finit par trahir son ami et pénétra dans sa cachette. El découvrit Sasha à moitié nu. Son corps était lacéré de plaies sombres.
— Oh… Par EL, soupira Michaël.
Sasha resta paralysé. Le jeune Fitzarch se détourna d'el sans rien dire et quitta les vestiaires. La principauté lui courut après.
— Attend ! Je réajustais mes glamours, c'est tout ! Je veux pas que Zineb voit mes blessures !
— Pourquoi tu les caches ? demanda Michaël sans interrompre sa fuite.
— Je ne veux pas alourdir les consciences des autres, formula étrangement Sasha.
— La moitié des passagers de ce maudit vaisseau sont en convalescence, rappela Michaël. Tu ne sors pas du lot. J'aurais dû le savoir ça !
— Le savoir ?
Michaël s'immobilisa et se retourna vers Sasha.
— Pourquoi tu m'as caché ces plaies ? demanda finalement le Fitzarch.
— Mon métier est de faire plaisir à tout le monde ici, clama Sasha dans une belle colère. Et tout le monde, ici et maintenant, à plaisir à croire que je suis en bonne santé.
— Pas. de. mensonges, martela à son tour Michaël. Je ne supporte pas les mensonges ! Surtout ceux qui sont faits pour me "préserver".
— Ma mission est de te préserver ! révéla Sasha.
— Tu fais la même chose que ce maudit Nana !
— Non. Moi je le fais parce que… parce que je t'aime bien. Je ne suis pas à la solde ni de Géhenna, ni de Zinebiel, ni de quiconque. Je fais ce qu'il me plaît.
Michaël regarda Sasha de bas en haut, puis de haut en bas, restant silencieux un moment. Les plaies de Sasha suintaient un peu et arboraient une couleur bien trop sombre.
— Dès qu'on finit cette réunion, je ferai venir mes médecins pour inspecter tes blessures, décida finalement Michaël. Je vois là qu'elles ne sont pas bien soignées.
— Ça ira ! clama Sasha. Ce soir, c'est boudoir !
— Deux blessés graves qui s'envoient en l'air ! s'emporta Michaël. Bien sûr !
Sasha sourit en acquiesçant. Michaël soupira :
— Rhabille-toi. Zineb nous attend.
☿
— Sasha m'a mentit, déclara Michaël en déboulant dans le salon de Zinebiel.
La domination, assise sur un grand canapé tapissé de broderies bleu et or, travaillait sur une tablette de cristal. El se retourna, interloqué.
— Bonjour Michaël, fit-el.
Le jeune Fitzarch s'asseya à ses cotés, tendu comme un arc. Zinebiel se prépara à esquiver la flèche.
— El m'a caché de graves blessures.
— Ah ?
— J'aurais dû le savoir. Après ce qu'el a subit pendant l'assaut… Mais el me l'a caché ! Et el ne s'est même pas correctement soigné !
— El ne voulait pas nous inquiéter, comprit Zinebiel.
— C'est stupide ! Tout le monde s'est fait défoncer durant l'assaut !
— Tu sais comment sont les principautés parfois. Les apparences sont au centre de leurs préoccupations.
— Je n'aime pas qu'on me mente ! s'indigna Michaël. On m'a trop mentit, depuis toujours. Et j'en ai marre.
— Pauvre petit Fitzarch, sourit Zinebiel en reportant son attention sur sa tablette de cristal.
Michaël se tût et se laissa tomber dans le moelleux du canapé. Impatient, el tapa du pied en observant les artefacts étranges exposés dans le salon. Quelques minutes plus tard, une douzaine de nobl'ailes arrivèrent à leur tour dans le domaine de Zinebiel. El étaient les sous-capit'ailes de la domination, ceux qui s'étaient réfugiés dans la capsule d'évacuation et que Michaël avait sauvé lors de l'assaut de la Flèche. Alors qu'els s'alignaient devant leur capit'aile, Zinebiel, Michaël surprit chez la domination des signes d'agacement. Zinebiel serra la mâchoire, soupira brusquement par le nez et s'agita, la mine sévère. Les sous-capit'ailes évitèrent de croiser son regard, arborant els-mêmes des signes d'agitation, voire d'inconfort.
— Nos convives sont arrivés ? demanda Zinebiel, les yeux encore rivés sur sa tablette.
— Oui capit'aile, dit une vertu qui arrivait à son tour à la suite des nobl'ailes.
— Merci majordome, dit Zinebiel. Allons-y.
La domination se leva et mena sa troupe vers une grande salle de conférence. Au passage, les nobl'ailes adressèrent de petites révérences à Michaël, leur sauveur, leur Fitzarch. Les élohim s'installèrent autour d'une immense table ronde, réhaussée d'un hologramme doré représentant le Domitia. Michaël s'installa non loin de Zinebiel et de ses sous-capit'ailes. Nana vint évidemment s'assoir à coté du jeune Fitzarch. Une minute plus tard, Michaël vit Sasha et ses principautés arriver et prendre place à quelques mètres d'el. Sasha lança un regard doux à Michaël, qui sentit son cœur solitaire fondre de tendresse malgré l'indignation.
Parmi tous ces élohim, des dizaines de chérubins étaient déjà présents. Leurs yeux innombrables sondaient les environs. C'est en leur rendant leurs regards que Michaël découvrit plusieurs chérubins-navigateurs, une dizaine environ, une fraction de ceux initialement présents à bord du Domitia. Ces navigateurs étaient reconnaissables à l'énorme œil sur leur front. Els étaient présents ici car els s'étaient aventuré hors de la Sphère juste avant le confinement, tombé lors de l'attaque initiale des démons du temps. Ainsi, els avaient échappé à l'assaut.
Leurs collègues, s'els étaient encore vivants, restaient silencieux, prisonniers de la Sphère, probablement occupée par les démons. L'objet de la réunion à venir était la préparation de leur rescousse, qui se profilait depuis plusieurs jours déjà. Ainsi, comme les jours précédents, les discussions stratégiques reprirent. Les puissances et les vertus avaient déjà concocté un plan d'attaque, aidé par l'expertise des chérubins. Eux seuls savaient comment la Sphère fonctionnait, comment y entrer, y circuler, et ce qu'il pouvait se passer à l'intérieur dans de telles circonstances. Ainsi, les troupes avaient été formées, la logistique décidée. L'assaut était imminent. Quelques détails importants restaient à traiter.
— Elvirel ne peux pas mener l'assaut, annonça un notable des vertus du Domitia. Son exploration du vaisseau des démons l'a épuisé. El n'a pas rencontré de forces hostiles lors de son expédition, mais l'environnement céleste l'était, hostile.
— Naturellement, commenta Zinebiel.
— Je mènerait l'assaut, clama soudain Michaël en se levant.
Les centaines d'élohim présents autour de la table échangèrent des regards interloqués. Zinebiel brisa leur stupéfaction.
— Je ne sais pas si tu es plus en forme qu'Elvirel, s'amusa la domination.
— Un de mes cœurs est manquant, c'est vrai, dit Michaël. Mais je suis en excellente condition physique et mentale. Je possède toute l'énergie nécessaire pour mener les troupes de vertus. Grâce à mes pouvoirs de Fitzarch, EL soit loué, je pourrai projeter un filet de lumière conséquent pour permettre la transmission des thaumaturgies sur nos guerriers, puissances et autres.
Michaël ne le remarqua pas, mais Nana, à ses cotés, s'était immobilisé. Appuyée sur l'accoudoir de sa chaise, les yeux écarquillés, la vertu maintenait fermement une main devant sa propre bouche.
— Je ne pense pas que vous êtes en état de combattre, déclara finalement un des capit'ailes des puissances, qui venait el-même de Hod. L'assaut infiltré que vous avez mené seul à bord de la Flèche était très admirable, dit-el. Mais il vous a laissé gravement blessé. Votre esprit est en forme, de toute évidence, mais votre corps est meurtri.
— Mon objectif n'est pas de combattre de cette manière, expliqua Michaël sans se défiler. Je resterai en support. Je laisserai vos troupes de puissances mener l'assaut pendant que je leur transmettrai des thaumaturgies de soin et de boost.
— Cela vous fatiguera aussi beaucoup, répondit la puissance, dubitative. Le tissage des filets de lumière, ou de thaumaturgies, implique un effort physique majeur. Tout le monde le sais.
— Même si vous vous sentez en forme initialement, je ne sais pas combien de temps vous pourrez tenir, argua une autre puissance.
Michaël fronça des sourcils, affichant un certain agacement.
— J'ai combattu sur les fronts de Malkouth avec l'archange-prince Raphaël el-même, maître d'Ennead, grand ponte de la thaumaturgie. Je sais de quoi je suis capable.
— Vous resterez en repos, déclama soudain quelqu'un d'autre.
Michaël chercha du regard celui qui venait de parler et trouva un chérubin-navigateur. Ce dernier n'avait pas pris la peine de se lever avant de s'exprimer. El continua :
— Vous n'êtes pas à la hauteur.
— Pardon ? dit Michaël.
— Vous n'êtes pas à la hauteur.
Michaël serra les dents, son regard gris, perçant, remplit d'offense. La tension autour de la table devint palpable.
— Vous vous méprenez sur vos capacités, continua le navigateur. Nous avons longuement discuté de l'environnement de la Sphère. C'est un endroit saturé d'une énergie psychique incommensurable, que vous n'avez jamais connu. C'est un endroit hors du temps et de l'espace, sur lesquels vous tissez d'habitude vos filets.
— Je peux apprendre rapidement, dit Michaël. Me préparer à cela.
— Vous êtes ignorant, Fitzarch, asséna le navigateur d'un ton ferme. Vous auriez dû comprendre, suite à nos explications ces derniers jours, qu'un corps meurtrit tel que le vôtre ne supporterait pas cet environnement. Vous resterez donc hors de ce combat.
Croisa brièvement le regard de Sasha. El y trouva de la compassion, mais pas la moindre trace d'encouragement. Alors el regarda Zinebiel, dont la mine était restée imperturbée.
— Ce navigateur a raison Michaël, déclara le capit'aile du Domitia. Nous admirons tous tes exploits récents et ta volonté de combattre. Tu nous a tous sauvés, moi en premier et tu as notre reconnaissance éternelle. Mais il est évident que tu ne peux plus combattre ou tisser pour le moment. Tu dois te reposer, te soigner. Et par la suite, tu seras suffisamment fort pour combattre à Guebourah.
— Mais...
— Nos troupes, celles du Domitia et celles passagères ici, sont assez fortes pour reprendre la Sphère sans tes grands pouvoirs de Fitzarch. Aie confiance en nous.
Michaël déglutit, ses lèvres soudain scellées. El ne put plus rien dire, ni même respirer. El se laissa tomber sur sa chaise et ne bougea plus d'un cil. À ses côtés, Nana sortit enfin de sa propre paralysie pour attraper le bras du jeune Fitzarch.