Cela faisait maintenant deux jours que Voxana se trouvait dans l’académie, et la tension n’était pas retombée. Les professeurs tout comme les élèves semblaient à cran, et Ivona n’avait toujours pas adressé la parole à Anasteria. Et pourtant, elle sentait que sa colocataire avait envie de parler, mais rien ne se passer. Et cela la minait tellement qu’elle ne prêtait même pas attention au cours. Elle fixait Ivona qui était assise par terre, avec les autres élèves. Elle observait en silence le duel d’entraînement qui se déroulait devant eux. Mais elle semblait éteinte et triste. Anasteria voulait s’approcher d’elle et lui murmurer que tout allait bien.
— Anasteria et Ivona, à votre tour. Davos et Johan, sur l’autre terrain.
La voix d’Iselia tira de sa rêverie Anasteria. Elle se leva avec incertitude, ne sachant pas comment réagir. Ivona fit de même et lui lança une expression de surprise puis elle détourna le regard. Au loin, Voxana continuait de les observer et Anasteria redoutait l’issue du combat. Elle pouvait deviner qu’Ivona ressentait une pression comme jamais. Ivona et Anasteria se placèrent sur le terrain, à quelques mètres du duo Davos et Johan. Ivona inspira profondément, et le regard déterminé qu’elle lança à Anasteria lui donna des frissons.
— Vous connaissez les règles. Le premier en situation difficile a perdu. Surveillez vos préparations, et pas de sorts pour blesser. Uniquement pour déstabiliser. Johan et Davos, prêts ?
Les deux mages hochèrent de la tête.
— Ivona et Anasteria ?
Les deux colocataires se regardèrent et acquiescèrent à leur tour.
— Allez-y !
Le combat démarra aussitôt chez Johan et Davos. Cependant, Ivona et Anasteria se jaugeaient pendant un instant, mais cette dernière comprit vite que son amie ne la regardait pas, mais derrière elle. Elle fixait sa mère. Elle pouvait voir facilement le conflit dans ses yeux bleus, mais finalement Ivona reporta définitivement son attention sur Anasteria et lança les hostilités.
Elle brisa une fiole de préparation dans sa main, et une fine pellicule de glace recouvrit son poing. Elle s’élança vers Anasteria qui restait immobile. Le coup la frappa en plein milieu de ses abdomens, et malgré ses muscles, elle recula de quelques pas et posa un genou au sol. Elle n’était pourtant pas la dernière à vouloir se battre, mais elle n’aimait pas l’expression de son amie. Elle sentait que le combat allait prendre une tournure qu’elle n’appréciait pas.
— Debout, Anasteria, ordonna Ivona.
Ivona attendait patiemment qu’elle se relevât avant de continuer le combat. Lorsqu’Anasteria plongea son regard dans le sien, elle vit la même froideur que dans ceux de Voxana.
— Anasteria, intervint Iselia, qu’est ce que vous attendez ?
Elle ne répondit pas et se redressa. Elle se mit en garde et attendit son amie. Ivona attaqua alors de nouveau. Anasteria parvint à parer plusieurs coups de poing, et maintint une certaine distance avec elle.
— Ne te préoccupe pas de ta mère, murmura-t-elle.
— Arrête de me dire quoi faire !
Ivona continua ses coups, mais Anasteria arriva à bloquer les deux poignets de son amie. Elles restèrent un moment dans cette position tandis que la voix d’Ivona sifflait.
— Bats-toi, Anasteria.
— Pourquoi veux-tu à ce point te battre sérieusement contre moi ?
— Je veux enfin voir qui de nous deux est la meilleure. Ou, peut-être tu as trop peur de perdre ?
Anasteria fronça les sourcils. Lorsque le pied d’Ivona heurta son ventre, elle contracta ses muscles pour encaisser le coup et recula de quelques pas.
— Anasteria ! hurla Iselia. Battez-vous !
Au fond d’elle, la curiosité titillait Anasteria. Elle s’était toujours demandé qui d’elle ou d’Ivona était la plus douée dans un combat sérieux. Anasteria maîtrisait le combat grâce à son père, mais Ivona connaissait la magie comme nul autre étudiant de leur classe. La tentation de se plonger dans un tel test l’attirait. Mais ses pensées se stoppèrent lorsque des murmures parasites vinrent embrumer son cerveau. Elle pouvait encore entendre la voix de l’étrange jeune fille de son rêve. Elle secoua sa tête pour se concentrer et fixa Ivona. Elle brisa une autre fiole dans ses mains, et une hallebarde de glace se créa. Elle la fit tournoyer et afficha un sourire narquois.
— Alors, Anasteria, tu viens te battre, ou je dois venir te chercher ?
L’attitude de son amie l’agaça une fois de trop, et à sa grande surprise, une lame flamboyante se métamorphosa dans sa main. Sans perdre un instant, Anasteria fonça sur Ivona. Les armes s’entrechoquèrent et libérèrent des particules de magie. Le combat commençait enfin. Anasteria ne faisait pas de cadeau à Ivona. Elle faisait preuve d’une concentration à toute épreuve et lui montrait réellement son niveau. Habituellement, Anasteria se contenait lors de leur entraînement avec les armes, mais pas cette fois. Avec vélocité et grâce, elle harcelait de coups Ivona qui reculait sans cesse. Mais elle ne s’avouait pas vaincue. En attrapant une fiole dans sa poche arrière, elle parvint à créer une flaque de givre sous les pieds d’Anasteria. Surprise, elle perdit l’équilibre et chuta lourdement au sol. Elle roula sur la droite pour éviter le coup d’Ivona et se remit sur ses pieds. Elle remarqua un petit sourire amusé sur les lèvres d’Ivona, et elle se surprit à esquisser le même. Leur combat possédait quelque chose d’exaltant et Anasteria mourrait d’envie de voir laquelle des deux l’emporterait. Galvanisée, elle chargea de nouveau. Sa lame fut bloquée une nouvelle fois, mais elle balaya avec son pied les jambes d’Ivona. Elle ne chuta pas, mais recula de quelques pas. Anasteria aperçut une ouverture et son poing heurta le ventre d’Ivona. Cette dernière encaissa l’impact difficilement, et Anasteria en profita pour donner un autre coup au visage. Ce coup-ci, sa colocataire tomba au sol, et Anasteria arma son épée, mais sa lame se heurta à de la glace nouvellement formée. Elle haussa les sourcils de surprise. Son amie avait réussi à créer un tel sort en si peu de temps. Ivona sourit malgré sa lèvre légèrement fendue.
— Pas mal, Ana.
— Ce n’est que le début, répondit-elle dans un rictus.
— Tu ne maîtrises pas encore assez bien la magie.
La glace se ramollit un peu, et Anasteria comprit trop tard le plan d’Ivona. Le bouclier de fortune se transforma en une puissante vague qui submergea Anasteria et la projeta sur quelques mètres. Elle lâcha un grognement de douleur lorsque son dos heurta le sol. Elle se releva vite et prit les fioles qui lui restaient. Elle les éclata à ses pieds pour en libérer le contenant.
— Tu vas voir ma maitrise, murmura-t-elle.
— Montre-moi, répondit Ivona avec défi.
Anasteria n’entendait rien d’autre que sa propre respiration et la voix d’Ivona. Elle sentait sa peau picotée d’énergies magiques, et sa vision se métamorphosa. Elles devinrent subitement aussi visibles que les arbres. Elle vit qu’Ivona préparait également un gros sort. La seconde d’après, une immense boule de feu entra en collision avec une puissante gerbe d’eau. L’impact créer par les deux sorts créa une petite onde de choc qui déstabilisa les deux adolescentes. Mais Anasteria vit l’occasion de gagner le combat. Elle se précipita à l’intérieur de la vapeur pour attaquer Ivona. Soudain, quelque chose attrapa son poignet et une courte décharge électrique l’obligea à mettre un genou à terre. Elle grogna sous la douleur et entendit Ivona gémir à son tour. Lorsque la vapeur se dissipa totalement, elle vit Iselia qui tenait fermement les poignets d’Anasteria et d’Ivona. Elle irradiait d’énergie magique.
— Êtes-vous complètement inconscientes toutes les deux ? cria-t-elle.
Anasteria sentit que sa vision redevenait normale, et avec elle, la fatigue venait l’accabler. Elle poussa un soupir et l’adrénaline s’estompait, rendant son esprit plus clair.
— Je vous ai demandé de vous entraîner, pas vous entre-tuer, reprit Iselia.
Elle lâcha son emprise sur les deux adolescentes. Anasteria massa doucement son poignet et réalisa qu’elles avaient peut-être fait preuve d’inconscience durant leur combat. Mais Ivona ne semblait pas partager cet avis. Elle croisa les bras, et répondit avec une insolence qui ne lui ressemblait pas.
— Je sais que je fais.
Iselia fronça les sourcils et s’approcha d’Ivona.
— Surveillez votre ton, Ivona. Avec votre combat, je pourrais aisément vous punir pour les trois prochains mois et vous virez de cette classe.
Ivona détourna le regard de leur professeure, mais Anasteria pouvait deviner qu’elle bouillonnait intérieurement. Elle se mordait sa lèvre inférieure meurtrie et ses ongles rentraient dans ses bras. Cependant, son regard revint un instant sur Anasteria, et ses yeux s’écarquillèrent.
— Ana !
Quelque chose heurta le dos d’Anasteria et la blessa malgré la protection magique de son uniforme. Elle s’écroula face contre terre. Sa peau la brûlait et elle ne parvenait pas à retenir ses cris de douleur. Elle se contorsionnait dans tous les sens dans l’espoir vain de faire stopper ce supplice. Dans la confusion, elle vit Iselia et Ivona qui se penchaient sur elle.
— Par les fondateurs ! fulmina Iselia. Davos ! Vous êtes complètement idiot vous aussi ?
— Je suis désolé !
Avec leur combat, Anasteria avait presque oublié que Davos et Johan s’affrontaient à côté. Éviter les blessures face à Ivona pour prendre un sort perdu, Anasteria possédait vraiment une chance légendaire.
— Bordel, siffla Iselia. Si vous ne savez pas tous vous contrôler, vous feriez mieux de changer de voie, et devenir marchand !
— Je ne voulais pas ! plaida Davos, le sort m’a échappé.
— Vous n’êtes plus en première année Davos. Si vous êtes incapable de réussir un sort, votre place n’est pas ici.
Iselia aida Anasteria à se relever avec difficulté. Sa peau continuait de la brûler et de la tirer.
— Allez Anasteria, reprit Iselia d’une voix plus douce. On doit te conduire à l’infirmerie.
Anasteria se contenta d’un hochement de la tête. Elle pouvait déjà imaginer le visage d’Apell lorsqu’elle lui dirait qu’elle venait “encore” se faire soigner. Elle serra les dents pour endurer la douleur et accepta volontiers le bras de sa professeure comme support.
— Le cours est terminé, ordonna Iselia.
Les chuchotements s’élevèrent chez les élèves, et tous observèrent Anasteria s’éloigner. Mais Ivona se moquait bien de leurs discussions, et son regard sévère fixa Davos. Ce dernier le remarqua et haussa les épaules.
— J’ai dit que j’étais désolé.
— Tu es vraiment un idiot fini, siffla-t-elle.
Johan sentit que la tension montait entre Davos et Ivona, car il s’interposa entre les deux.
— Hey, du calme.
— Je n’ai pas fait exprès de toucher Anasteria !
— Ce qui est encore pire, soupira Ivona. Tu ne sais pas te battre ?
Davos fulminait et il poussa Johan sans ménagement pour s’approcher d’Ivona. Cela n’impressionnait pas l’adolescente. Il avait beau être plus grand qu’elle, elle n’allait pas plier devant lui. Elle arqua un sourcil.
— Tu peux parler, siffla Davos, tu aurais pu tout aussi bien la blesser durant votre combat. J’ai vu ce que tu as lancé contre elle.
— Contrairement à toi, je me contrôle. Et je la connais.
— Oui, bien sûr.
— Calmez-vous tous les deux, intervint Johan.
— Je n’ai pas de leçon à recevoir de toi, rétorqua Davos. Tu te prends pour la meilleure, mais tu n’es même pas capable de battre Anasteria. Ton combat était nul.
— La ferme, Davos, siffla Ivona. Je n’ai rien à te prouver. Et si tu penses qu’Anasteria est une adversaire facile, c’est que tu ne l’as jamais affrontée.
Davos poussa l’épaule d’Ivona, mais avant qu’elle ne puisse réagir, Johan repoussa à son tour Davos pour éloigner les deux adolescents.
— Stop !
— Je te préviens Davos. Si tu me touches encore, ou si tu blesses une nouvelle fois Anasteria, je te jure que tu ne pourras plus manger pendant trois mois.
Ivona s’éloigna finalement. Elle n’avait aucune envie de se battre avec quelqu’un d’aussi pathétique que Davos. Et elle se sentait épuisée. Le ton monta entre lui et Johan, mais elle ne parvint qu’à capter quelques bribes.
— Tu dois apprendre à te contrôler Davos ! Tu as blessé Anasteria.
— Lâche-moi ! J’ai pas fait exprès. Tu ne vas pas faire comme l’autre sans cœur.
Ivona pressa le pas pour ne plus les entendre. Elle se dirigea vers les dortoirs, mais elle passa non loin de sa mère. Avec tout ça, elle l’avait oublié.
— Tu aurais dû la battre, murmura-t-elle.
— Vous me fatiguez tous, souffla Ivona. Anasteria n’est pas aussi faible qu’elle le laisse paraître. Lorsqu’elle se concentre, elle peut être redoutable.
— Alors, tu dis qu’elle t’aurait battu ?
Ivona planta ses yeux dans ceux de sa mère.
— J’aurai gagné. Mais elle est une des rares à pouvoir se mesurer à moi.
— Ce n’est pas ce que j’ai vu. On dirait que ton amitié pour elle t’empêche de te battre à ton plein potentiel.
— Croyez ce que vous voulez mère. Je m’en moque.
Ivona n’avait vraiment pas envie après une telle journée de supporter sa mère. Cependant, elle se doutait que leur combat allait attirer l’attention des magistères. Elle se maudit intérieurement pour ne pas avoir gardé son calme. Une partie d’elle avait voulu se mesurer à Anasteria pour voir son vrai niveau. Une autre partie espérait qu’elle n’avait pas créé plus d’ennui à sa colocataire.